Appelé bout de sein en silicone (BDS) ou téterelle, écran en silicone ou encore mamelon artificiel, ce petit objet souvent utilisé et distribué très rapidement après la naissance peut avoir plusieurs appellations.
Certains distinguent les « téterelles », pièces maîtresses du tire-lait qui surmontent le biberon recueillant le lait, des bouts de seins en silicone. Pour d’autres, c’est la même chose. Quoiqu’il en soit, c’est loin d’être un « morceau de sein » à part entière…
Bouts de sein : un peu d’histoire
Un usage préventif et médical
Il fut un temps où il était recommandé aux femmes de durcir l’épiderme de leurs mamelons afin de les ménager. Pendant la grossesse, elles devaient « préparer » leurs seins à l’allaitement.
Pour cela, elles frottaient leurs mamelons avec un linge trempé dans de l’eau de vie pure en fin de grossesse. Puis elles les recouvraient, entre les tétées, d’une compresse imbibée à part égale d’alcool et de glycérine.
Au XVI ème siècle, le médecin Thaddaeus utilisait des calices en forme de dé, de la grandeur du mamelon, pendant le dernier trimestre de grossesse. On ajoutait de la résine de sapin, le tout maintenu avec un bandage jour et nuit.
Ambroise Paré, fut le premier à adopter des bouts de seins en plomb et en forme de chapeau pour aider à la guérison des mamelons abîmés.
Dans certaines régions de France, on utilisait aussi des coquilles de noix remplies de crème fraiche comme calmant.
Historiquement le bout de sein n’était donc utilisé qu’en préventif, en traitement de crevasses ou d’irritations. Il n’était pas destiné à servir d’ écran entre la bouche du bébé et le sein de sa mère.
De la tétine de vache au bout de sein en ivoire
Ce n’est qu’à partir du XVIII ème siècle que son utilisation se modifie pour l’allaitement au sein à travers un « écran ».
Certains médecins l’appelaient alors galactophores externes. Ils étaient fabriqués avec des tétines de vache chamoisées, parcheminées ou tannées selon les inventeurs. Ils étaient mis à tremper lorsqu’ils ne servaient pas. Or cette procédure entraînait plusieurs problèmes :
- Un ramollissement important de la matière induisant un collapsus des parois, ne laissant pas ou peu le lait s’écouler.
- Une décomposition de la matière due à la stagnation dans l’eau dégageant une odeur nauséabonde, aigre à l’origine d’une multiplication des cas de muguet.
En 1830, la découverte du caoutchouc a permis la création d’un bout de sein en buis surmonté de caoutchouc. Rigide, épais et noir, il dégageaient également une forte odeur. Puis des téterelles / bouts de seins en ivoire vont être utilisés jusqu’en 1900. Ils seront ensuite en verre, surmontés d’un petit mamelon en caoutchouc.
Les bouts de seins en silicone : une solution miracle ?
Aujourd’hui, ces objets sont en silicone, plus souples, échancrés afin de pouvoir laisser le maximum du visage de bébé en contact avec le sein de sa mère.
Cette nouvelle génération de bout de sein est arrivée comme une solution miracle. Il est distribué de façon régulière et abusive pour toute douleur, irritation, difficulté d’un bébé à s’accrocher au sein etc. Il est pourtant le révélateur d’un des premiers signes de difficultés d’allaitement. Devoir allaiter avec une téterelle n’est pas normal.
Beaucoup de mamans utilisent les BDS parce qu’ils sont proposés pendant leur séjour en maternité. Elles les ont parfois même achetés pendant la grossesse, en cas de douleurs, parce qu’il est colporté que l’allaitement « fait fatalement mal ». C’est ainsi que le bout de sein est devenu l’objet quasi « incontournable » de l’allaitement.
Or avant d’y penser, il est primordial de se demander pourquoi le bébé et sa maman font face à des difficultés d’allaitement ? Quelles sont les causes de ces difficultés ? Comment peut-on y remédier ? En effet, la téterelle ne fera que panser un symptôme et ne traitera pas la cause.
Ensuite, si vraiment, elle peut apporter un soulagement temporaire, elle ne devrait être initiée qu’après avoir expliqué aux mamans son fonctionnement, ses limites et les risques que son utilisation implique. Elles doivent avoir aussi été informées sur les différentes tailles et formes de bout de sein ainsi que la prise en bouche par bébé. Et surtout, sa mise en place doit être à court-terme et encadrée par des professionnels bien informés jusqu’à ce que la mère puisse allaiter sans.
Le bout de sein permet-il un allaitement physiologique ?
Dès que se manifeste le besoin de tout accessoire entre le sein et la bouche de bébé, l’allaitement physiologique est en partie interrompu. Il doit donc être accompagné par une personne dûment formée. Une conseillère IBCLC devra en amont évaluer la position, la prise en bouche et la succion du bébé. Elle s’intéressera également au transfert de lait et au trouble de succion potentiel tout en assurant un accompagnement rapproché.
Il faut en effet observer et adapter des postures pour bébé facilitant l’expression et l’utilisation des réflexes archaïques qui sont mis en œuvre pendant la tétée. Ces réflexes permettent au bébé de repérer le mamelon, de se diriger vers lui, d’ouvrir correctement la bouche pour attraper le sein de la meilleure manière possible.
Les inconvénients d’une utilisation inadéquate des bouts de sein
Au démarrage de la lactation, le bout de sein peut empêcher la stimulation des glandes mammaires, le transfert de lait et par conséquent le suivi d’une courbe de poids optimale. La stimulation du mamelon n’est pas idéale avec le BDS. Ceci peut nuire au bon transfert de lait et à sa production, d’autant que, très souvent, la position du bébé avec un bout de sein est trop éloignée du mamelon.
Contrairement au mamelon, le bout de sein en silicone est plus rigide et ne s’étire pas. Cela modifie la prise en bouche et la succion du bébé qui risque d’écraser le mamelon avec ses gencives. Une mise en garde et un suivi adapté à la situation doivent être proposés à la maman. Donc non, la téterelle ne permet de rééduquer et d’améliorer la succion du bébé.
Enfin avec une téterelle, bébé ne transfère pas bien le lait en général. Ce bébé risque donc de prendre moins de poids. De plus, les glandes mammaires étant moins bien vidangées, la mère risque de faire des engorgements ou un canal bouché pouvant aller jusqu’à la mastite voire l’abcès. Tout cela peut entrainer un risque de sevrage précoce et de grandes difficultés à revenir ensuite à une tétée directement au sein.
Que peut-on mettre en place au lieu de penser à utiliser une téterelle ?
Remettre de la physiologie dans la pathologie : l’ocytocine, la prise du sein et la succion
L’ocytocine est l’hormone essentielle à l’érection du mamelon et à l’éjection du lait. Pendant l’accouchement et les premiers jours de l’allaitement, la mère sécrète de l’ocycotine “comme jamais”. Malheureusement, le nombre de naissances médicalisées n’a fait qu’augmenter au XXe siècle. Il est maintenant bien démontré que plus les femmes sont perfusées longtemps durant leur accouchement, plus les tissus sont imprégnés de liquide et plus les mamelons sont engorgés à la naissance. Il est donc plus difficile pour le bébé de s’y accrocher.
De plus, le stress de l’accouchement et l’ocytocine synthétique perfusée pendant le travail de la naissance empêchent une sécrétion optimale de l’ocytocine naturelle. Or cette dernière est essentielle durant les premiers jours après la naissance. Cette ocytocine « volée » par le corps médical impacte donc négativement l’érection des mamelons, l’éjection du lait et la prise du sein par le bébé.
Enfin, il a aussi été démontré que les bébés étaient plus endormis après une péridurale ou une césarienne.
Encourager les mères de rester proche de leur bébé.
Le peau à peau un peu, beaucoup, passionnément, à la folie après la naissance et avant chaque tétée si la mère le souhaite. Cela va faciliter d’autant plus la sécrétion d’ocytocine, l’érection des mamelons, l’éjection du lait et la prise du sein par le bébé. Cette proximité par exemple via le co-dodo, le portage, mère-bébé soutient en effet la physiologie de l’ocytocine. Comme l’explique si bien le Dr Suzanne Colson, il faut mettre le bébé à la bonne adresse…proche, très proche de sa maman.
Encourager les compétences du bébé.
Les bébés naissent “programmés” pour attraper le sein par eux-mêmes et téter grâce aux réflexes archaïques pour autant qu’on laisse la place à la physiologie. La position naturelle de l’allaitement peut vraiment les aider en ce sens.
Trouver les causes et traiter les difficultés
Si la maman a des douleurs ou des crevasses aux seins, il faut en trouver la cause et la traiter. La téterelle n’aura qu’un effet “pansement” qui se révèlera inefficace dès son retrait.
Quand et comment utiliser les bouts de sein ?
Beaucoup de mamans relatent ne pas avoir été informées et s’être fait imposer l’utilisation de BDS. Il y a pourtant des éléments essentiels à prendre en compte lors du choix d’un bout de sein :
- la morphologie du sein ;
- la succion du bébé ;
- comment l’utiliser de manière optimale en essayant de ne pas trop enrayer l’allaitement ;
- comment le nettoyer après la tétée.
En effet, à cause de la diminution du drainage du sein, il y a un risque augmenté d’engorgement. L’hygiène est donc capitale lorsqu’on utilise bout de sein et téterelle. Les mettre sur des irritations, fissures, crevasses peut engendrer une infection et un abcès du sein.
Il existe aussi d’autres solutions.
Dans certains cas, rares, le BDS peut être utile. Par exemples, dans le cadre de mamelons très ombiliqués ou pour certains bébés prématurés présentant une succion immature. Ou encore en cas de mamelons trop gros pour la petite bouche de bébé.
Mais il y a aussi d’autres options à considérer. Selon le cas, on peut , par exemple, proposer d’alimenter bébé par d’autres moyens :
- DAL (Dispositif d’Aide à la Lactation) au doigt
- Softcup
- Tasse
- La seringue
Quoiqu’il en soit, toutes ces solutions doivent être temporaires, en attendant que :
- les mamelons soient cicatrisés ;
- bébé arrive à téter ;
- la bouche de bébé grandisse ;
- bébé arrive à s’accrocher au sein.
Aussi, le bout de sein n’est pas la solution miracle en cas d’irritations, de douleurs, de crevasses ou si bébé ne s’accroche pas au sein. Il est indispensable de consulter des professionnels compétents et formés afin de rechercher et de traiter la cause du problème. L’utilisation d’un objet intermédiaire entre la bouche de bébé et le sein doit en effet faire l’objet d’un accompagnement adéquat et personnalisé. Et ce jusqu’à ce que le BDS puisse être retiré. Toutes les femmes qui allaitent doivent pouvoir recourir à un professionnel pour éviter qu’un allaitement qui devrait être physiologique ne dégénère en allaitement pathologique.
Nous en profitons pour rappeler que l’allaitement ne doit en aucun cas être douloureux. Si c’est le cas, il faut rapidement demander l’avis d’une personne compétente. Celle-ci essaiera, avec la dyade mère-enfant et le soutien du co-parent, de comprendre les raisons de la douleur ou difficulté et pourra proposer des solutions adaptées à chaque famille.
Article coécrit par Lynda Pourchet, Caroline de Ville et Dominique Porret.
Références :
Les images illustrant l’histoire des bouts de sein sont issues du livre de Marie-Claude Delahaye, Tétons et Tétines – Histoire de l’allaitement.
Marie-Claude Delahaye, Tétons et Tétines – Histoire de l’allaitement, Editions Trame Way. 1990.
Meier, P P et al. “Nipple shields for preterm infants: effect on milk transfer and duration of breastfeeding.” Journal of human lactation : official journal of International Lactation Consultant Association vol. 16,2 (2000): 106-14; quiz 129-31. doi:10.1177/089033440001600205
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McKechnie, Anne Chevalier, and Anne Eglash. “Nipple shields: a review of the literature.” Breastfeeding medicine : the official journal of the Academy of Breastfeeding Medicine vol. 5,6 (2010): 309-14. doi:10.1089/bfm.2010.0003
Kronborg, Hanne et al. “Why do mothers use nipple shields and how does this influence duration of exclusive breastfeeding?.” Maternal & child nutrition vol. 13,1 (2017): e12251. doi:10.1111/mcn.12251
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