Pourquoi parler du syndrome d’apnée du sommeil dans le cadre du soutien à l’allaitement maternel et des restrictions linguales ? Qu’est-ce que c’est exactement ? Quelles sont les origines de ces apnées du sommeil ? Comment puis-je vous dire, en observant un bébé qui dort, s’il est ou sera à risque ?
Pourquoi de plus en plus d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes sont touchés par ce syndrome ? Quelles sont ces conséquences lorsqu’il n’est pas traité correctement ? Quel est le parcours possible de guérison ? Oui j’ai bien dit guérison !
Voilà de bien belles questions auxquelles je vais répondre en m’appuyant notamment sur une conférence donnée par le Dr Paul Wulleman, médecin interniste, fondateur de la SleepClinic belge.
« Faire des apnées du sommeil » : qu’est-ce que cela signifie ?
Une définition « classique » incomplète
La définition classique de l’apnée du sommeil parle d’un trouble caractérisé par un arrêt épisodique de la respiration dû à des obstructions répétées partielles (hypopnées) ou totales (apnées) des voies respiratoires supérieures.
Ces événements entrainent une activation du système nerveux sympathique, une fragmentation du sommeil, une hypoxémie intermittente et une somnolence diurne excessive.
A la lumière des études cliniques disponibles, et donc une meilleure compréhension de l’origine de ces apnées, cette définition classique semble incomplète. Elle n’est tout simplement plus acceptable. En effet, il est important de parler de définition fonctionnelle.
La définition complète de l’apnée du sommeil
Le point de départ des apnées du sommeil est la perte de la respiration nasale nocturne au profit d’une respiration buccale. Les apnées commencent majoritairement dès la petite enfance et sont inaudibles chez le bébé. Ensuite, sans une prise en charge rapide et adéquate, elles vont progresser, devenir sonores et continues (ronflements). Nous avons déjà tous entendu des bébés ronfler et cela devrait nous alarmer. En effet, ces ronflements non traités évolueront en apnées du sommeil. Or le passage d’une respiration buccale insonore à une respiration buccale sonore peut prendre entre 1 et 30 ans.
Voici enfin une définition qui tient compte d’une échelle de temps (plusieurs dizaines d’années) et qui, j’ose le dire, débute avec la respiration buccale de la femme enceinte. Qui n’a jamais entendu dire que les femmes enceintes ont tendance à ronfler ? Pourtant, CE N’EST PAS NORMAL !
Combien de personnes sont concernées par l’apnée du sommeil ?
Beaucoup, beaucoup trop ! Près d’un milliard de personnes selon The Lancet Respiratory Medicine à l’issue d’une étude menée par la société Resmed. 85% d’entre elles ne seraient pas diagnostiquées (1). C’est 10 fois supérieur au chiffre de 100 millions de personnes avancé par l’OMS en 2007 (2).
Intéressons-nous de plus près à une étude réalisée en 2012 par l’équipe du CHU de Lausanne (3) qui a utilisé la polysomnographie complète à domicile sur ses patients. Elle est basée sur 2121 sujets suisses, entre 40 et 85 ans (hommes et femmes), sans obésité (uniquement en surcharge pondérale). Tous les biais de questionnaire et d’échelle ont été éliminés.
Des résultats inquiétants
Cette étude montre que 83,8% des hommes au-dessus de 40 ans ont un syndrome d’apnée du sommeil, léger (entre 5-15 apnées), moyen (15-30 apnées), ou sévère (plus de 30).
Chez les femmes de plus de 40 ans, non ménopausées, 35,1% sont concernées et ce chiffre grimpe à 71,6% après la ménopause.
Il s’agit donc bien d’une pathologie qui se manifeste de façon quotidienne et qui évolue au cours des années.
Les causes des apnées du sommeil ?
Tout est une question de respiration nasale et de développement cranio-maxillo-facial. Ceux qui ne peuvent pas mettre la langue correctement au palais la nuit, afin de respirer par le nez, présenteront des problèmes de santé dans leur vie. Cela est vrai dès le plus jeune âge !
Et, comme d’habitude, c’est l’humain, lui-même, qui est responsable cette maladie grave.
Le rétrécissement des mâchoires
Il faut noter que les mâchoires ont évolué au fil des millénaires. En effet, nos voies respiratoires supérieures sont de plus en plus étroites. L’angle des mâchoires a changé. Cela entraîne des dysmorphoses faciales réellement invalidantes. L’espace inter-molaire pourrait avoir rétréci de 10% au moins en moins de 20 ans. Mais pourquoi ce phénomène est-il si rapide ?
L’apparition de la nourriture molle, limitant la mastication, est la première responsable de cette involution des mâchoires. Elle a commencé, il y a 400 000 ans, avec la découverte du feu et s’est poursuivie par la suite avec le développement de l’agriculture (il y a 15 000 ans). Aujourd’hui, l’activité masticatoire est encore plus limitée à cause de l’industrie agroalimentaire et des panades données aux enfants dès leur plus jeune âge.
Ensuite, depuis au moins 4 générations, ce sont les biberons, les laits en poudre, les non-allaitements et les allaitements écourtés qui empêchent nos mâchoires de grandir comme elles le devraient. L’apnée du sommeil prend sa source dès le début de vie de nombreux bébés. Quand j’observe un bébé qui dort, je peux reconnaître ceux qui vont avoir des problèmes à court, moyen ou long terme.
Les facteurs externes
Bien sûr, tout ce qui empêche une respiration nasale correcte a une grande part de responsabilité. On peut notamment citer :
- la pollution environnementale et domestique,
- le tabagisme passif,
- les allergènes,
- les pesticides,
- Etc.
Ces polluants entrainent des rhinites chroniques et allergiques qui obligent les patients à respirer par la bouche. Parmi les conséquences de cette respiration nasale chronique, nous retrouvons de grosses amygdales, des végétations (parce que l’air est non filtré au niveau du nez)… et j’en passe.
Les restrictions buccales (les freins restrictifs buccaux)
Enfin, les freins linguaux ont aussi une grande part de responsabilités. En premier lieu, ce sont les travaux du Dr Guilleminault chez les enfants (4), les adolescents et les adultes qui ont montré une corrélation très forte entre un frein lingual non traité et le développement de l’apnée du sommeil (5-6).
Il explique que 229 patients ont été admis dans son service à Stanford, avec une moyenne d’âge de 53 ans, pour un syndrome d’apnées du sommeil. Ces patients ne présentaient PAS d’obésité mais 105 avaient un frein lingual restrictif ! Soit près d’un patient sur deux. Cependant, ce chiffre pourrait être sous-estimé car l’évaluation avec le TRMR (tongue range of motion ratio/rapport d’amplitude antérieure et postérieure des mouvements de la langue) du Dr.Zaghi (7) n’existait pas encore. Depuis, plusieurs autres études cliniques confirment la corrélation entre frein lingual restrictif et apnées du sommeil (8).
Plus récemment, Loïc Poucet, étudiant en master de kinésithérapie, a réalisé « une étude sur la corrélation entre l’ankyloglossie et les troubles du sommeil chez le jeune adulte ». Effectuée sur 47 sujets, entre 18 à 25 ans et en bonne santé, elle montre que 50 % des personnes étudiées souffrent d’un syndrome d’apnée du sommeil léger où moyen (9).
La bonne mobilité de la langue est primordiale pour notre santé
Mais ce n’est pas tout. Il observe une corrélation très significative, à coefficient négatif, entre les TRMR, à savoir les degrés de mobilité de la langue directement influencé par le frein lingual, et les ronflements. De plus, Loïc Poucet montre qu’au-delà d’un certain seuil de TRMR, à savoir 70 %, plus aucun ronflement n’est répertorié. Ainsi plus les mobilités antérieures et postérieures des mouvements de langue sont amples, moins il y a d’apnée du sommeil.
Les mouvements complets de notre langue sont donc primordiaux pour notre santé. Même une restrictions dite « légère » impacte l’état général de l’individu.
Des fosses nasales trop étroites et une mauvaise oxygénation des organes
Il faut également mentionner que notre respiration nasale ne peut plus se faire de manière optimale car nos fosses nasales sont devenues beaucoup trop petites et tordues.
L’oxygène peine à arriver dans les sinus paranasaux empêchant la fabrication optimale du monoxyde d’azote (NO). Ce dernier peine donc à se rendre jusqu’à nos organes. Par voie de conséquence, l’oxygénation du cerveau n’est plus optimale. Je le répète : l’apnée du sommeil est une pathologie du quotidien présente dès le plus jeune âge et chez des personnes apparemment en bonne santé.
Les conséquences graves de l’apnée du sommeil
Parmi les conséquences graves, nous pouvons citer :
- l’hypertension artérielle,
- la fatigue,
- la dépression,
- des troubles de l’attention et des apprentissages chez les enfants,
- des troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité,
- des troubles de la concentration chez les adultes,
- la fibrillation auriculaire,
- l’AVC,
- des dégénérescences neurologiques,
- les caries dentaires.
Comme vous pouvez le constater, elles sont nombreuses.
Toutes les pathologies cardiovasculaires citées ont pour point de départ une respiration buccale chronique depuis l’enfance (parfois même avant). Or celle-ci diminue la sécrétion du NO par les sinus paranasaux. Pour en savoir plus sur les sources du NO (la respiration nasale, le sport, l’alimentation, le microbiote), je vous invite à consulter l’article sur l’importance de la respiration nasale et le monoxyde d’azote.
Avec une respiration buccale, la langue est basse. Elle perd donc son rôle de modelage du palais ce qui engendre une modification du facies et des voies respiratoires dysmorphiques… plus étroites.
Cette respiration par la bouche provoque également un assèchement des muqueuses buccales avec une modification du microbiote qui aura lui aussi des conséquences sur l’apport en NO.
Parlons d’hypertension artérielle
La respiration buccale et le syndrome des apnées du sommeil sont également responsables de l’hypertension artérielle. Toute personne qui en souffre devrait être bilantée pour un syndrome d’apnée du sommeil. D’autant que l’hypertension concerne 1,28 milliard de personnes dans le monde mais 46% des personnes concernées l’ignorent (10).
C’est une maladie des vaisseaux sanguins : une endothéliopathie liée à une réduction de la production du NO et/ou de sa biodisponibilité. Les causes en sont multiples.
Les causes de l’hypertension artérielle
Il faut savoir que le monoxyde d’azote est produit par un endothélium vasculaire sain, en d’autres mots, par notre système vasculaire (nos artères). Voyez-vous comment tout est lié ?
Tout dysfonctionnement endothélial ou endothéliopathie entrave la sécrétion de NO, or elle est essentielle au bon fonctionnement du système cardiovasculaire. Une étude japonaise a d’ailleurs mis en évidence que, dès l’enfance précoce, la respiration buccale est responsable d’endothéliopathie chez les enfants (11).
Gardons en tête que les piliers d’un système cardiovasculaire qui fonctionne sainement sont :
- l’alimentation notamment le sel et les graisses,
- la consommation suffisante de fruits et de légumes,
- l’exercice physique (qui augmente la production de NO),
- la non consommation de tabac et d’alcool,
- l’éviction du surpoids/de l’obésité
- LE SOMMEI en respirant par le nez.
Le sommeil, ce facteur pourtant essentiel « oublié » par l’OMS et les Nations Unies dans leur plan de préventions des maladies chroniques (12).
Bref, revenons à l’hypertension. Elle produit une pression trop forte dans “les tuyaux” (le système cardiovasculaire) et peut les faire “sauter”. C’est alors la porte ouverte aux AVC, aux infarctus du myocarde, à la rétinopathie, à l’insuffisance rénale, à l’impuissance, jusqu’à la démence neurologique (créée par une succession de mini AVC)…
Quelques études
Sur une cohorte de 593 patients, âgés de 18 à 35 ans chez qui une HTA a été diagnostiquée et qui ont fait l’objet d’un dépistage pour une SAOS (13) : 88,9% présentaient bien un SAOS. Et près de 9/10 patients hypertendus, jeunes, sans obésité, avaient un syndrome d’apnée du sommeil.
Il s’agit bien encore d’une affaire de diminution de production de NO. On le sait maintenant ! La respiration buccale chez les jeunes enfants, provoque un début d’endothéliopathie très précoce.
Le groupe de la SleepClinic, créé par le Dr Wulleman, a pu démontrer que 10 minutes de respiration buccale provoque une dysfonctionne endothéliale (publication à venir). Arrive ensuite l’athéromatose, la racine des maladies cardiaques (infarctus, FA, …).
Aussi, le socle commun des maladies cardiovasculaires est bien présent dès la naissance. Ces maladies prennent leur source durant le développement embryonnaire parce que les parents respirent par la bouche, depuis plusieurs années. Cela engendre des comportements dysfonctionnels dès la petite enfance (respiration buccale, déglutition atypique) entrainant ensuite des troubles du développement et de l’apprentissage.
Pour conclure
Créez vous-même vos propres remèdes pour guérir de toutes les maladies cardiovasculaires. Faites de l’activité physique, mangez sainement et vivez dans un environnement sain. C’est essentiel. Mais surtout dormez la bouche fermée en respirant par le nez et traitez votre restriction linguale si vous en avez une ! Continuons aussi à informer sur l’importance de l’allaitement non-écourtée. C’est un essentiel vital pour l’être humain !
Si les bébés étaient allaités pendant au moins 2 ans et si leurs dysfonctions/restrictions oro-maxillo-faciales étaient prises en charge dès la naissance, le syndrome d’apnée du sommeil n’existerait tout simplement pas.
Sources
(1) Benjafield, Adam V., et al. “Estimation of the global prevalence and burden of obstructive sleep apnoea: a literature-based analysis.” The Lancet Respiratory Medicine 7.8 (2019): 687-698.
(2) www.businesswire.com/news/home/20190710005632/fr/
(3) Heinzer, Raphael, et al. “Impact of sex and menopausal status on the prevalence, clinical presentation, and comorbidities of sleep-disordered breathing.” Sleep medicine 51 (2018): 29-36.
(4) Guilleminault, Christian, Shehlanoor Huseni, and Lauren Lo. “A frequent phenotype for paediatric sleep apnoea: short lingual frenulum.” ERJ Open Research 2.3 (2016).
(5) Huang, Y. S., et al. “Short lingual frenulum and obstructive sleep apnea in children.” Int J Pediatr Res 1.1 (2015): 273.
(6) Villa, Maria Pia, et al. “Short lingual frenulum as a risk factor for sleep-disordered breathing in school-age children.” Sleep medicine 66 (2020): 119-122.
(7) Zaghi, Soroush, et al. “Assessment of posterior tongue mobility using lingual‐palatal suction: Progress towards a functional definition of ankyloglossia.” Journal of oral rehabilitation 48.6 (2021): 692-700.
(8) Bussi, Marieli Timpani, et al. “Is ankyloglossia associated with obstructive sleep apnea?.” Brazilian Journal of Otorhinolaryngology (2021).
(10 ) www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/hypertension
(11) Odanaka, Yutaka, et al. “Microvascular endothelial function in Japanese early adolescents.” Journal of Clinical Biochemistry and Nutrition (2017): 17-58.
(12) www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0019/315613/66wd11f_NCDActionPlan_160522.pdf
(13) Jinchai, Jittirat, et al. “How common is obstructive sleep apnea in young hypertensive patients?.” Internal and Emergency Medicine 15.6 (2020): 1005-1010.
Sandra Kahn and Paul R. Ehrlich, Jaws: The story of a hidden epidemic, Stanford University Press, 2018.
worldsleepcongress.com/wp-content/uploads/2019/09/WS19-Poster-abstracts-by-category.pdf
sleepmeeting.org/wp-content/uploads/2018/10/abstractbook2018.pdf
Duverger :
Très intéressant, on découvre des choses que, pour ma part, j’ignorais et en core je n’ai pas eu le temps de tout lire
Isabelle Cote :
Tellement! Merci beaucoup!