Beaucoup de médecins connaissent bien l’hyper-respiration aigüe mieux connue sous le nom de crise de panique ou d’agoraphobie. Mais peu d’entre-eux connaissent ou s’intéressent à l’hyperventilation chronique. Pourtant en 2013, 9,5% des adultes en souffraient. Aujourd’hui, nous sommes probablement bien au-dessus de ce chiffre, surtout quand on sait qu’un enfant sur deux respire la bouche ouverte.
Respirer par le nez discrètement
La respiration, c’est la vie. Respirer par le nez de manière adéquate améliore l’espérance et surtout la qualité de vie. En respirant par la bouche trop vite et trop profondément, vous risquez des conséquences à court, moyen et long terme.
Les personnes en bonne santé respirent doucement, calmement et sans effort. Elles font naturellement une pause à l’expiration. Il faut respirer par le nez comme “une petite souris silencieuse”. En effet, on ne doit pas vous entendre respirer. L’inspiration et l’expiration se font par le nez en bougeant le diaphragme discrètement, même pendant un exercice physique léger (marche).
Respirer moins et mieux
L’oxygène est relativement insoluble. Elle est transportée à 98 % environ dans le sang par l’hémoglobine. La libération d’oxygène dans les tissus par l’hémoglobine dépend de la quantité de dioxyde de carbone dans les alvéoles pulmonaires et le sang artériel. Quand cette dernière est inférieure à 5%, l’oxygène reste attachée à l’hémoglobine et n’est pas correctement distribuée aux tissus et aux organes. C’est l’effet Bohr.
Ne pas respirer plus
La saturation normale d’oxygène dans le sang est de 95 à 99 % pour un individu en bonne santé. En fait, le corps n’utilise pas la majorité de l’oxygène respirée. Pour un volume d’air inspiré de 4 à 6 l. par minute, 75 % de l’oxygène est expirée. Durant un exercice intense, la quantité d’oxygène expirée est estimée à 25 %. Il n’est donc pas nécessaire de respirer plus. En effet, si le volume d’air expiré augmente, il y a un risque de diminution de la libération de l’oxygène dans les tissus via l’hémoglobine.
Ainsi pour améliorer l’oxygénation de nos tissus, nous devons respirer moins et mieux.
Qu’est-ce que le syndrome d’hyperventilation chronique ?
Le syndrome d’hyperventilation chronique ou dysfonction respiratoire est un désordre respiratoire, psychologique ou physiologique basé sur une respiration trop profonde et/ou trop rapide ou encore une respiration erratique, entrecoupée d’apnées ou de soupirs.
Le volume d’air inspiré est excessif durant la nuit, pendant la sieste ou durant un exercice physique ou simplement en temps normal. Cette respiration utilise trop d’énergie et diminue la prise d’oxygène. Cela entraîne une baisse de l’apport d’oxygène aux cellules (jusqu’à 50 % de réduction dans le cerveau).
Au départ, l’hyperventilation est une réponse normale à un stress, une urgence. En cas de danger, notre système adrénergique se réveille pour nous mener au combat ou à la fuite. Il s’agit d’une respiration rapide et/ou profonde à court terme pour répondre aux besoins en oxygène du corps qui se prépare à combattre.
Le corps doit retrouver son calme
Si le corps ne retrouve pas son calme rapidement, le stress devient chronique et génère une hyperventilation nocive. En effet, une respiration rapide et peu profonde non contrôlée réduit les apports en oxygène nécessaires au corps à moyen et long terme.
Les globules rouges qui quittent les poumons sont saturées en oxygène ce qui provoque une réduction du dioxyde de carbone. Or ce manque dioxyde de carbone sanguin va perturber l’équilibre acide-base du corps entraînant divers changements physiologiques. Ces derniers ne sont pas anodins, je vous en parle un peu plus loin dans cet article.
Les origines de l’hyperventilation chronique
Donc hyperventiler est la réponse normale à un stress aigu. Pourtant une fois le stress passé, nombre de personnes restent en hyperventilation (les perfectionnistes et les ambitieux par exemple). Elle peut également être acquise par habitude pendant l’enfance.
Pathologies respiratoires et hyperventilation chronique
Les asthmatiques, par exemple, ne peuvent pas respirer profondément, ils respirent donc plus vite pour compenser. Résultat : ils expirent la moitié du dioxyde de carbone qu’ils inhalent au lieu d’un cinquième. Plus de 30% des personnes asthmatiques sont concernées.
Au-delà, toutes les pathologies respiratoires sont concernées par l’hyperventilation chronique. En effet, les patients allergiques, et les personnes souffrant de rhinite chroniques respirent trop souvent par la bouche. McEwen a même découvert que nombre de personnes ayant des allergies alimentaires hyperventilent après avoir ingéré un aliment auquel elles sont sensibles.
Tous les individus avec un retard de développement cranio-maxillo-facial, des rhinites chroniques/allergiques, des troubles du sommeil ou de l’asthme devraient bénéficier d’une évaluation respiratoire et au besoin de rééducation.
Sources externes d’hyperventilation
Parmi les causes externes, on peut noter :
- l’alimentation industrielle,
- un trop gros repas,
- le manque d’exercice physique,
- trop parler,
- la croyance que prendre des respirations très profondes est bonne pour la santé,
- le chauffage excessif dans les maisons,
- la respiration buccale…
Freins restrictifs et hyperventilation
J’y reviens encore et toujours. Maintenant vous êtes habitués. Les individus avec une restriction linguale sont plus à risque de respirer par la bouche et de souffrir d’apnées obstructives du sommeil. Elles peuvent donc aussi se retrouver en hyperventilation chronique. Voici un argument supplémentaire en faveur de la prise en charge pluridisciplinaire des restrictions et des troubles oro-maxillo-faciaux.
Quelles sont les conséquences de l’hyperventilation ?
Selon Nixon, la chirurgie cardiaque est inutile à moins que les patients reconnaissent l’effet du stress et apprennent à contrôler / réduire leur respiration. Dans ce cas, le contrôle respiratoire peut induire une rémission et la chirurgie peut probablement être totalement évitée.
Je l’ai évoqué précédemment les personnes qui hyperventilent, expirent plus de dioxyde de carbone qu’il ne le faut provoquant ce qu’on appelle de l’hypocapnie.
Dioxyde de carbone et pH
Or le dioxyde de carbone n’est pas un déchet de l’inspiration. Il aide à maintenir un pH correct dans le corps (7,4). Il est important dans la balance acide-base des liquides. En effet, la régulation de la respiration est déterminée par des récepteurs dans le cerveau qui surveillent la concentration de dioxyde de carbone ainsi que le niveau de pH et, dans une moindre mesure, l’oxygène dans le sang.
Cependant en cas d’hyperventilation chronique et de chute du dioxyde de carbone dans le sang et dans les autres fluides corporels, des molécules de dioxyde de carbone se diffusent hors des cellules pour le remplacer. Les cellules deviennent alors plus alcalines et peuvent être stimulées par une activité anormale. Pour corriger l’excès d’alcalinité, le corps produit des ions de bicarbonates chargés négativement dans l’urine. Ceux-ci sont extraits de l’acide carbonique, leur élimination laisse des ions hydrogènes chargés positivement dans le sang augmentant ainsi son acidité.
Hyperventiler : un cercle vicieux
Quand la respiration excessive se poursuit pendant plusieurs heures/jours, l’excès de bicarbonate est compensé par l’excrétion rénale. La diminution de l’acidité est contrebalancée par un faible taux de bicarbonate maintenu par la fonction des reins. Pour cela, ils excrètent des ions métalliques chargés positivement avec le bicarbonate. Il s’agit principalement d’ions magnésium provenant de l’intérieur des cellules (2/3 du magnésium du corps).
Les cellules doivent également maintenir un équilibre ionique approprié. Quand elles manquent de magnésium, elles peuvent, pour le remplacer, attirer ou fabriquer des ions hydrogènes positifs. Cela pose un problème car les cellules jugent l’acidité par la présence ou l’absence d’hydrogène. Trop d’hydrogène à l’intérieur des membranes est interprété comme un excès d’acidité, même si l’extérieur est trop alcalin. Donc ces cellules vont pousser le corps à hyperventiler encore plus pour remonter l’alcalinité et changer la sensibilité des récepteurs chimiques au dioxyde de carbone.
Les symptômes
Cette hypocapnie chronique affecte l’activité de nombreuses cellules du corps et en particulier celle du système nerveux en les stimulant pour les préparer à l’action. La tension musculaire est augmentée, la sensibilité et la perception sont accrues. Le seuil de la douleur est abaissé et l’adrénaline est libérée dans le sang. Le mécanisme de combat ou de fuite est activé.
La personne concernée respire toujours plus rapidement et superficiellement et les niveaux de dioxyde de carbone chutent en conséquence. Les cellules produisent de l’acide lactique pour réduire l’alcalinité. Alors, le métabolisme commence à souffrir : fatigue, épuisement, sensations de picotements, des engourdissements…
Par ailleurs, les cellules qui fabriquent les muscles lisses (cœur et vaisseaux sanguins) sont également mises en action par le faible niveau de dioxyde de carbone. Les vaisseaux sanguins se resserrent (vasoconstriction). Le cœur va battre plus vite, commencer à manquer quelques battements, générer des palpitations ou des douleurs angineuses. Pendant ce temps, le cerveau peut recevoir jusqu’à 50 % d’oxygène en moins, une privation entraînant une nouvelle série de symptômes.
Alors les restrictions et dysfonctions cranio-maxillo-faciales, toujours une mode sans conséquence ?
Encore une fois, comprenez l’importance de traiter toutes les causes qui poussent un patient à hyperventiler. Les restrictions buccales et les dysfonctions du développement cranio-maxillo-facial, l’asthme, les allergies, les rhinites chroniques, etc.
Vous comprenez pourquoi une fois de plus, j’insiste sur l’importance de la pluridisciplinarité dans la prise en charge et le traitement de ces différentes pathologies chez les enfants comme chez les adultes. Un nouveau paradigme dont il serait bon de se préoccuper car il nous aiderait à nous libérer de notre dépendance à la médecine et à la pharmacologie.
Et n’oubliez pas de respirer par le nez. OUI MAIS respirer par le nez, sans que l’on puisse vous voir ou vous entendre. Respirer petit ni vu ni connu pour ne pas trop respirer !
Bibliographie
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Le Caillec :
Mais plus haut vous avez du vous tromper, car vous avez mis une reduction du dioxyde de carbone expirer.Hors il me semble que c’est plutôt une augmentation du dioxyde de carbone expirés.Bonne continuation.
Cordialement
Isabelle Cote :
Merci beaucoup pour votre oeil 😉
pascal jolly :
Très intéressant mais quid des solutions ?
Caroline de Ville :
Bonjour Pascal, merci pour votre message. Il y a plein de solutions… Allez jeter un oeil sur les autres articles et podcast.
– la prise en charge adaptée à chacun des dysfonctions et restrictios OMF en fait partie
– travailler sur sa respiration (methode buteyko, yoga, méditation, cohérence cardiaque …
– prendre en charge l’alimentation, l’environnement
– …
De tout coeur Caroline