Le système cranio-facial est le siège du cerveau humain, l’architecture des voies respiratoires et l’instrument de la communication. Pourquoi beaucoup d’enfants aujourd’hui ne développent pas une mâchoire qui puisse accueillir 32 dents humaines ? D’où vient ce besoin d’orthodontie ?
Les dents de lait sont trop souvent les unes sur les autres et désalignées alors qu’elles devraient être largement espacées. A l’heure actuelle, les problèmes fonctionnels dus à des mâchoires trop petites et des voies respiratoires trop étroites deviennent LA norme chez nos enfants. Ils respirent trop souvent par la bouche, leurs dents se chevauchent et ils ronflent. Cela n’est pas normal.
Comment la mâchoire grandit-elle ?
La mâchoire grandit dès la fin du premier trimestre de grossesse. C’est alors le mouvement qui donne la forme. En effet, les mouvements de la langue, de la déglutition et de la respiration par le nez permettent à la bouche et au palais de bien grandir.
Au repos, le placement de la langue au palais, en corrélation avec la respiration nasale, créé des appuis spécifiques qui permettent au maxillaire de grandir dans le sens horizontal. Le palais n’est rien d’autre que le plancher du nez et des voies respiratoires supérieures. Par conséquent, si celui-ci est trop petit, les voies respiratoires supérieures seront plus étroites.
L’allaitement une étape incontournable du développement cranio-facial
L’allaitement est la première étape et peut-être la plus critique pour le développement du visage et de ses mâchoires. Grâce à la nutrition au sein du bébé, la bouche peut grandir correctement durant les premières années de développement.
Les études ont maintenant bien démontré qu’aucune autre succion ne peut susciter les effets de la succion au sein. C’est elle qui permet à la mâchoire de grandir de manière optimale. D’ailleurs, en observant des crânes anciens, datant d’une époque où l’allaitement non écourté était la norme, on voit des mâchoires larges offrant suffisamment d’espace pour toutes les dents. L’allaitement non écourté et la découverte alimentaire par morceaux jouant leurs rôles, aucun enfant n’avait besoin d’orthodontie.
L’importance des premières tétées
D’après le Dr Kevin Boyd, le développement cranio-maxillo-facial est essentiel durant les 1000 premiers jours (de la conception à 2 ans). Les premières tétées sont très importantes, car elles permettent de remettre les os du crâne en place après la naissance.
Par ailleurs, plusieurs études cliniques prouvent que l’activité du masséter est significativement plus élevée chez les nouveau-nés allaités comparée à ceux qui sont nourris au biberon. Or, le muscle masséter est le muscle le plus important pour le développement cranio-maxillo-facial.
Les études démontrent également que l’allaitement peut être considéré comme un outil de prophylaxie post-natale des anomalies cranio-faciales et un moyen de les réduire considérablement.
Enfin, l’allaitement non écourté joue un rôle important dans l’acquisition d’autres compétences comme croquer, mâcher et mastiquer une alimentation plus solide.
Allaitement écourté depuis plusieurs générations
Malheureusement, bien que l’OMS prône un allaitement exclusif jusqu’à 6 mois et pendant au moins les deux premières années de vie de l’enfant, la majorité des mères retourne au travail 3 mois après la naissance de leur bébé.
Le manque de formation à l’allaitement non écourté des professionnels de la santé et de la périnatalité est également important. Dans un monde individualiste tel que la nôtre, les mères ne peuvent pas suivre le rythme de l’allaitement non-écourté par manque de soutien de la société. Nous sommes en moyenne à la 3e ou la 4e génération d’adultes non allaités ou allaités seulement pendant quelques jours / semaines. Nous héritons donc de mâchoires de plus en plus petites. Il suffit à chacun de regarder les photos de son arbre généalogique pour s’en convaincre…
L’humanité n’existerait pas sans la mère qui allaite ses enfants. L’allaitement non écourté est la première étape incontournable pour acquérir une bonne mastication, pour découvrir ensuite les aliments solides et avoir un développement cranio-maxillo-facial adapté à la survie de l’espèce humaine.
Alimentation transformée et développement cranio-facial
La mastication et la déglutition des aliments solides assurent la continuité du développement cranio-maxillo-facial pendant l’allaitement et après le sevrage. Cependant, les aliments que nous consommons aujourd’hui sont mous et transformés. Les bébés, qui devraient apprendre rapidement la mastication, avalent des purées liquides et des soupes pendant des mois.
Pour illustrer mon propos, je souhaite m’appuyer sur une étude aussi intéressante qu’effrayante, celle des chats de Pottenger. Cette étude m’a beaucoup interpellée, vous allez comprendre pourquoi.
Les chats de Pottenger
Ce scientifique a comparé deux groupes de chat : un nourrit avec de la viande crue (groupe témoin) et un nourrit avec des produits alimentaires cuits et transformés. Le groupe des chats nourris avec des aliments transformés disparaît à la 4e génération.
Pottenger a constaté que les changements observés sur la première génération de chats nourris avec des aliments transformés surviennent au niveau des mâchoires : gencives rouges et enflammées, mauvais alignement dentaire et apparition de malocclusion…
Au cours de l’expérience, les problèmes s’enchaînent rapidement pour ce groupe de chats. Pottenger observe des troubles du comportement, un manque d’énergie, de l’anxiété, des allergies et une mauvaise qualité du pelage. A la 3e génération, la teneur en calcium des os diminue de manière significative, et les portées suivantes sont mort-nées.
Pendant ce temps, les chattes du groupe témoin ont porté leurs bébés à terme. Elles ont donné naissance à 5 chatons environ par portée. Ces derniers n’ont présenté ni problème dentaire ni infection. Pour les chats du premier groupe, il a fallu à Pottenger 4 générations de chats avec une alimentation non transformée pour qu’ils retrouvent une santé normale.
Au vu des résultats de cette expérience, je suis convaincue que nous n’avons encore aucune idée des conséquences à long terme du non-allaitement, de l’allaitement à court terme et de l’alimentation industrielle. Par conséquent, j’estime que nous sommes en pleine « dévolution » humaine.
« Les mâchoires des êtres humains sont en train de se dégrader de génération en génération. Je suis vraiment interloquée quand j’observe les mâchoires des bébés et des enfants d’aujourd’hui juste autour de moi… »
Autres observations intéressantes. Le Dr John Mew observe que l’appétence humaine pour les aliments mous et cuits a affaibli la musculature des mâchoires ainsi que la structure de maintien du visage à partir des pommettes. Cela cause une fuite de la mandibule (mâchoire inférieure) et une avancée du maxillaire (mâchoire supérieure) qui empêchent l’occlusion dentaire (c’est-à-dire l’emboîtement des dents du haut et du bas).
Cultures traditionnelles et développement du visage
Citons maintenant Weston Price, un scientifique des années 30. Dans sa pratique à Cleveland, Ohio, il a observé les différences entre l’alimentation de ses patients et celui des cultures traditionnelles du monde entier.
Ses patients mangeaient du sucre raffiné/blanc, de la farine blanche, du lait concentré et des aliments en conserve, des huiles végétales, du lait écrémé ou des aliments faibles en gras. A l’inverse, dans les cultures traditionnelles, le régime alimentaire était à base d’aliments riches en nutriments, à haute teneur en graisses saines, en enzyme et en minéraux.
Les patients de W. Price avaient un système immunitaire faible, voire incapable de résister aux maladies. Ils avaient des structures osseuses étroites (mâchoire, bassin étroit, voies nasales et conduit auditif) entraînant des troubles digestifs, des accouchements médicalisés et des pathologies respiratoires.
A l’inverse, les personnes issues de cultures traditionnelles résistaient aux mêmes maladies, avaient un système immunitaire fort, un système digestif sain et ne développaient pas d’infections. Quant à leur ossature, elle était large, robuste et solide.
Par ailleurs, Price a observé que les dents de ses patients étaient cariées, mal positionnées et se superposaient. Leurs mâchoires, leurs palais et leurs visages étaient étroits. Inversement, les dents des populations de cultures traditionnelles étaient saines, alignées et droites, avec des mâchoires et des palais larges.
Il souligne enfin que ce pur héritage ADN vivant dans le sang des Australiens indigènes TOMBE en une génération quand ils adoptent au régime moderne. Aujourd’hui, les maladies chroniques affligent les populations ancestrales car l’alimentation de la société moderne ne parvient pas à les préserver.
La respiration nasale, le sommeil et les freins restrictifs buccaux
Partons d’une expérience intéressante réalisée sur des singes. Au cours de celle-ci, de petits bouchons ont été introduits dans les narines des singes pour les obliger à respirer par la bouche. Très rapidement, les scientifiques ont observé un allongement de la forme de leur visage et l’apparition de malocclusions. On peut en conclure que la respiration nasale est importante pour le développement cranio-maxillo-facial et l’occlusion dentaire.
Il est aussi urgent de s’attaquer à l’épidémie des troubles du sommeil qui afflige actuellement la société.
Si les mâchoires ne se développent pas, les voies respiratoires seront impactées. En effet, le toit de la bouche est le plancher des sinus nasaux. Si la mâchoire est sous-développée, le volume à travers lequel respirer est réduit. Cela entraîne une augmentation de la pression dans les voies respiratoires causant une obstruction de la respiration pendant le sommeil ou des apnées du sommeil.
Aujourd’hui, les chiffres rapportés dans la revue médicale « The Lancet » montre qu’un milliard de personnes souffrent d’apnée du sommeil. Par ailleurs, plus de la moitié des enfants ont une respiration bouche ouverte. D’où vient cette respiration bouche ouverte ? D’allergies, rhinites chroniques, freins restrictifs buccaux (travaux du Pr. Guilleminault), palais étroits, hypertrophie des amygdales…
Les freins restrictifs buccaux
Une revue de la littérature a mis à jour un consensus concernant les effets négatifs des altérations anatomiques et fonctionnelles du frein lingual sur la croissance et le développement cranio-facial. Personnellement, j’ai rencontré des mères qui avaient allaité 2 à 4 ans leurs enfants avec un frein restrictif. Malgré un allaitement non écourté, le visage de ces derniers ne s’est pas suffisamment développé.
Vers une nouvelle approche de l’orthodontie
Les dents sont le principal indicateur de la façon de guérir le corps, pourtant beaucoup de jeunes enfants ont des dents de lait qui se chevauchent et des malocclusions des mâchoires.
De plus, l’orthodontie moderne est incapable de garantir des résultats à long terme. En effet, après chaque traitement orthodontique, les patients sont contraints soit de placer un fil de contention derrière les dents pour éviter qu’elles ne bougent à nouveau ou de dormir avec une gouttière toute leur vie.
Heureusement, aujourd’hui, une approche orthodontique considérant le développement du visage gagne en popularité. La collaboration croissante des disciplines qui considèrent l’épigénétique, l’allaitement, la posture squelettique, la rééducation respiratoire et la myologie oro-faciale permet d’éviter aux enfants des traitements orthodontiques invasifs, longs et inefficaces au long terme.
Il faudrait aussi d’avantage se concentrer sur l’influence de la nutrition (allaitement non écourté et alimentation non transformée) sur la croissance de la mâchoire pour voir un impact durable sur les malocclusions.
Nous sommes face à la plus grande pandémie de l’histoire de l’humanité.
Le besoin d’orthodontie … une mode pire que celle des restrictions buccales ?
Références :
Lin, Steven. The Dental Diet: The Surprising Link Between Your Teeth, Real Food, and Life-changing Natural Health. Hay House, Inc, 2019.
Price, Weston A., and Trung Nguyen. Nutrition and physical degeneration: a comparison of primitive and modern diets and their effects. EnCognitive. com, 2016.
Pottenger, Francis Marion. Pottenger’s cats: A study in nutrition. Lemon Grove: Price-Pottenger Nutrition Foundation, 1983.
Guilleminault, Christian, and Shannon S. Sullivan. “Towards restoration of continuous nasal breathing as the ultimate treatment goal in pediatric obstructive sleep apnea.” Enliven: Pediatr Neonatol Biol 1.1 (2014): 001.
Huang, Y. S., et al. “Short lingual frenulum and obstructive sleep apnea in children.” Int J Pediatr Res 1.003 (2015).
http://www.tonguethrust.com/wp-content/uploads/2016/10/2015-Frenum-OSA-Snoring-in-children.pdf
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Brines, Juan, and Claude Billeaud. “Breast-Feeding from an Evolutionary Perspective.” Healthcare. Vol. 9. No. 11. Multidisciplinary Digital Publishing Institute, 2021.
Karin Badt :
J’ai beaucoup apprécié cet article. J’ai eu des dialogues avec le Dr Kevin Boyd, et c’est un homme brillant. Il m’a expliqué le développement maxillaire depuis l’utérus.
Je pense que ces informations ici doivent être diffusées aussi largement que possible car tant de parents ne sont pas conscients de ces faits, et de la meilleure façon d’empêcher leurs enfants d’avoir besoin d’un traitement orthodontique.
Je partage également ici mes propres recherches sur les grands risques associés à l’extraction de dents prémolaires pour un traitement orthodontique. Mes excuses, c’est en anglais. Il y aura bientôt une traduction. Le point principal est qu’aucun parent ne devrait accepter l’extraction des prémolaires saines de leurs enfants, sauf dans des cas extrêmement rares. L’extraction des premolaires réduit la taille de la bouche, retarde la croissance des mâchoires, réduit les voies respiratoires et peut entraîner de nombreux problèmes de santé.
https://karinbadt.medium.com/premolar-extractions-for-orthodontic-treatment-2190344bc7bf
Isabelle Cote :
Merci beaucoup pour votre message!
DUVAL Hélène :
Tellement interessant d’avoir ces articles étayés de la biblio adaptée à ce que nous vivons quotidiennement en cabinet, merci !
Isabelle Cote :
Merci beaucoup pour votre commentaire!
Caroline S Cressens :
MERCIIIIIIIIIIIII
mira :
Très bel article bonne continuation.
Caroline de Ville :
Merci beaucoup