Selon les études cliniques consultées, l’incidence des freins restrictifs linguaux est très variable. Certains articles expliquent même que l’incidence est faible et que c’est donc une pathologie congénitale rare. Mais pourquoi et comment expliquer tant de variation ?
A quelle prévalence peut-on s’attendre pour les restrictions linguales ? Que dit la littérature ?
Les 5 dernières années ont vu arriver en masse les études cliniques sur le sujet. On sait aujourd’hui que pour évaluer et diagnostiquer des restrictions buccales, plusieurs facteurs doivent être pris en compte :
- l’évaluation anatomique du frénélum,
- l’évaluation fonctionnelle des mouvements de la langue,
- de la posture,
- et de la respiration.
Cela n’a pas toujours été le cas. En effet, les premières études n’impliquent que la composante anatomique qui est elle-même variable d’un auteur à l’autre. Par exemple : certains ne prennent en compte que les freins restrictifs de grade 1 (classification de Kotlow ou de Coryllos). D’autres s’intéressent qu’aux freins de type 1 et 2. Enfin, d’autres encore, incluent les types 1,2 et 3. Cela donne donc logiquement des variations de prévalence variant de 3 à 11%.
De nouveaux protocoles d’évaluation des restrictions linguales
Depuis 1 an et demi environ, les protocoles d’évaluation sont validés et plus objectifs. En effet, ils prennent en compte les différents aspects des restrictions buccales et varient en fonction des symptômes. Par exemple : le TRMR du Dr Zaghi pour les adultes, TRQ du Dr Baxter pour les jeunes enfants et d’autres encore.
Ainsi, nous sommes maintenant capables d’avoir des mesures de plus en plus objectives pour évaluer les restrictions linguales chez l’enfants comme chez l’adulte. Mais le fait que les protocoles manquent de précision pour les bébés pose actuellement problème.
L’étude Cochrane de 2017…
Les articles scientifiques utilisent une étude publiée en 2017* par l’organisation britannique Cochrane. Celle-ci situe la prévalence des restrictions linguales entre 4 et 11%. Il faut garder en tête qu’en 2017 seule la composante anatomique était considérée. Il n’y aavait alors pas encore la possibilité d’évaluer les restrictions postérieures. Ces chiffres sont donc très probablement sous-estimés.
Dépistage obligatoire dans toutes les maternités au Brésil
Saviez-vous que le Brésil oblige un dépistage en maternité avant la sortie d’hôpital ?
La loi brésilienne exige ce dépistage depuis 2014 (loi fédéral n°13002). Son application ne date donc pas d’hier ! Il s’agit d’une évaluation anatomo-fonctionnelle qui doit être réalisée dans les 48h suivant la naissance du bébé. Grâce à cette précocité, les cas grave peuvent être dépistés et traités rapidement. En cas de doute ou lorsque le frein lingual n’est pas visible, une réévaluation est recommandée à 30 jours de vie.
De plus, afin d’éviter un sevrage précoce durant cette période, les parents doivent être avertis des difficultés d’allaitement pouvant éventuellement résulter d’un frein lingual restrictif.
Des taux entre 0,52 et 21 %
La loi brésilienne n’impose cependant pas l’utilisation d’un protocole en particulier. Par conséquent, les taux de prévalence varient entre 0,52% et 21% selon la manière dont les restrictions sont évaluées. Ces variations peuvent être sous-estimées car les données dépendent de l’utilisation de protocole standardisé ou non.
D’ailleurs, on sait que l’un des protocoles les plus utilisés, le Lingual Frenelum Protocol Infant de Martinelli a tendance à sous-évaluer les restrictions linguales. En effet, il ne permet pas d’évaluer complètement la mobilité postérieure de langue.
Quel taux de prévalence avec une évaluation anatomique et fonctionnelle ?
Intéressons-nous maintenant aux études cliniques récentes.
Des données intéressantes…
Toujours au Brésil, Martinelli et son équipe ont vérifié la présence d’un frein lingual postérieur ou sous-muqueux avec une manœuvre qui consiste à relever les bords latéraux de la langue pour pousser et élever la langue afin de visualiser les caractéristiques anatomiques du frein lingual. Cette opération est particulièrement efficace pour faciliter la visualisation des freins linguaux postérieurs.
Sur les 1715 nourrissons examinés, 32,54% d’entre-eux présentaient un frein postérieur nécessitant cette manœuvre pour individualiser le frenelum.
Il ne s’agit pas ici d’un chiffre concernant la prévalence de freins postérieurs restrictifs car aucune évaluation fonctionnelle complète de la mobilité de la langue n’est conduite. Mais il confirme tout de même que les freins restrictifs ne sont pas rares contrairement à ce que certains osent affirmer.
Dans une autre étude clinique, 130 nouveau-nés ont été évalués à la maternité avec le LFPN. 105 (81%) avait un frein lingual normal et 25 (19%) un frein lingual altéré. Cela représente donc près de 1 bébé sur 5.
Tongue Range or Motion Ratio-Lingual Palatal Suction
Depuis maintenant 1 an et demi, grâce au protocole d’évaluation validé (lui aussi) du Dr Zaghi et de son équipe, il y la mesure du TRMR-LPS (Tongue Range or Motion Ratio-Lingual Palatal Suction). C’est le premier protocole objectif permettant enfin d’évaluer la mobilité postérieure de la langue chez les grands enfants et les adules.
Dr Zaghi a examiné 611 sujets. Ses travaux ont identifié qu’un LPS-TRMR (évaluation de la mobilité postérieure) inférieur à 30% est considéré comme modérément restrictif. Mais s’il est inférieur à 5%, il y a restriction sévère. Grâce à cette approche, pour la première fois la mobilité antérieure ET postérieure de la langue bénéficient d’une évaluation avec des mesures objectives. Cependant, elle est inutilisable chez les bébés et les très jeunes enfants car il est impossible de leur faire suivre les consignes nécessaires à la prise des mesures.
Pour pallier cette difficulté, le Dr Baxter et son équipe ont combiné la mesure du TRMR avec une anamnèse détaillée effectuées auprès de 314 enfants âgés de 1 ans à 14 ans (moyenne d’âge 5,7 ans).
20,4 % des enfants avaient une restriction modérée (TRMR-TIP) et 2,9% avaient une restriction sévère. Ils ont mis à jour une corrélation entre l’acuité des symptômes (ronflements, difficultés alimentaires, troubles du sommeil, respiration buccale pendant la nuit (22,3%), difficultés articulatoires, grincement des dents, troubles de l’attention, retard de langage…) et les restrictions modérées et sévères.
Pour vous donner une idée de l’ampleur du chantier en 2019, en Norvège seulement 2,8% des nourrissons étaient diagnostiqués.
Faisons quelques calculs ensemble
Partons de la dernière méta-analyse (2020 – Rebecca R Hill et al.) montrant une prévalence globale des restrictions linguales de 8% chez les enfants de moins de 1 an, afin de réfléchir sur une échelle plus large.
Même si on considère ce chiffre (qui ne prend probablement en compte que les restrictions antérieures) comme optimiste, quelques calculs rapides donnent une nouvelle perspective. Par extrapolation, les restrictions linguales concerneraient donc 88 000 personnes en Belgique, 4 millions en France et 26 millions aux Etats-Unis. Je vous laisse faire le calcul pour la population mondiale de 8 milliards.
Pourquoi les freins restrictifs buccaux sont-ils en augmentation ?
Plutôt que mettre en doute la prise en charge pluridisciplinaire des frénectomies, il devient urgent de poser la question du « pourquoi » ?
Pourquoi les freins restrictifs buccaux sont-ils en augmentation dans notre société ? Pourquoi tant d’enfants et adolescents ont besoin d’un traitement orthodontique ? Nos mâchoires deviennent-elles trop petites pour accueillir nos dents définitives ? Aujourd’hui, 1 enfant sur 2 respire la bouche ouverte…
Mais comment expliquer ces phénomènes ?
Industrialisation de notre alimentation ?
Perturbations liées à l’épigénétique ?
Prise d’acide folique chez les femmes ? Pollution environnementale ?
Manque d’allaitement des générations précédentes (sans culpabiliser qui que ce soit) ?
Un peu de tout ?
Pourquoi l’être humain nait-il déjà dépendant de la médecine et de la pharmacologie dès sa naissance ? Pourquoi…
Des chiffres de prévalence variable, oui mais
Les restrictions de la langue sont courantes chez les jeunes patients se présentant en cabinet dentaire, en orthodontie et en pédiatrie. La présentation des symptômes varie d’un patient à l’autre ce qui rend les prises en charge complexes. Mais il y a maintenant des protocoles validés et fiables pour évaluer les différents aspects à prendre en compte pour établir un diagnostic. La prise de décision partagée et les évaluations appropriées aident à prévenir autant le sous-traitement que le sur-traitement.
Vous l’avez compris les chiffres varient selon les protocoles d’évaluations utilisés par les scientifiques. Bien sûr, il faut continuer à travailler pour standardiser le diagnostic des restrictions buccales. Je suis aussi impatiente de voir des études de prévalence sur des restrictions linguales basées sur un grand nombres de sujets et les nouveaux protocoles d’évaluations objectifs. Aussi, nous avons besoin d’études sur 20 ans qui nous permettraient de mieux réaliser l’impact de nos prises en charge. Je pense que nous serions bien étonnés des résultats.
Alors, les restrictions buccales, une mode ?
Il serait temps que les communautés médicale et médiatique cessent le jeu des titres accrocheurs et sensationnalistes et basent leurs analyses et articles sur des études récentes et actualisées sur le sujet. Oui, quelques études et consensus improbables sur les freins restrictifs linguaux continuent de polluer le débat.
Bien sûr que les restrictions buccales ne sont pas une mode. Plutôt un nouveau paradigme à l’échelle de la planète dont on fera bien de se préoccuper afin d’éviter la « dévolution » de l’espèce humaine.
Bibliographie
Baxter, Richard, Ashley Lashley, and Nicholas R. Rendell. “Tongue Restriction Questionnaire: A New Screening Tool to Identify Tongue-Tied Patients.” Compendium of Continuing Education in Dentistry(Jamesburg, NJ: 1995) 42.3 (2021).
Martinelli, Roberta Lopes de Castro, Irene Queiroz Marchesan, and Giédre Berretin-Felix. “Posterior lingual frenulum in infants: occurrence and maneuver for visual inspection.” Revista CEFAC 20 (2018): 478-483.
Zaghi, Soroush, et al. “Assessment of posterior tongue mobility using lingual‐palatal suction: Progress towards a functional definition of ankyloglossia.” Journal of oral rehabilitation 48.6 (2021): 692-700.
Hill, Rebecca R., Christopher S. Lee, and Britt F. Pados. “The prevalence of ankyloglossia in children aged< 1 year: a systematic review and meta-analysis.” Pediatric Research 90.2 (2021): 259-266.
*O’Shea, Joyce E., et al. “Frenotomy for tongue‐tie in newborn infants.” Cochrane Database of Systematic Reviews 3 (2017).
Hazelbaker, Alison K., et al. “Incidence and prevalence of tongue-tie.” Clinical Lactation 8.3 (2017): 89-92.
DUVAL Hélène :
Bonjour,
Travaillant au quotidien sur les nourrissons et autres classes d’âge de population depuis plus de 25 ans je rejoins complètement votre analyse et vous remercie de la mise en forme.
Je dirige une école d’ostéopathie et donne moi-même des formations. Je vous cite régulièrement et plusieurs de mes étudiants ont suivi vos formations en ligne.
Merci de votre implication qui je l’espère fera ouvrir les yeux à nos détracteurs n’ayant malheureusement pas les bonnes références bibliographiques.
Hâte de suivre la conférence en visio le 20 avril
Isabelle Cote :
Merci pour votre témoignage, cela me touche beaucoup!