« Mon bébé s’étouffe au sein car j’ai un réflexe d’éjection fort. » Combien de mères culpabilisent en pensant que leur corps ne fonctionne pas… une fois de plus ? C’est également une phrase utilisée par tant de professionnels de la santé ou de l’allaitement.
Il est en effet plus facile de rejeter la faute sur les mères que d’essayer de comprendre ce qui se cache réellement derrière ces bébés qui n’arrivent pas à boire. Pourquoi n’explique-t-on pas aux mères que le réflexe d’éjection est en fait physiologique ? Qu’y-a-t-il derrière ce flux normal de lait qui fait que le bébé tousse, s’étrangle en avalant et finit par rejeter le sein par peur de se faire mal une fois de plus ? Peut-on mesurer de manière objective ce fameux « réflexe d’éjection fort » ?
Durant mon allaitement, quel a été mon étonnement, à plusieurs reprises, de voir qu’en pressant mon mamelon, j’avais un beau réflexe d’éjection ! En d’autres mots, mon lait « giclait » FORT et de partout. Si mon bébé avait eu des difficultés d’allaitement, beaucoup de professionnels m’auraient dit que j’avais un réflexe d’éjection fort… alors qu’il n’en était point !
Anatomie et physiologie : l’ocytocine pour l’éjection du lait
Encore une fois, pour déconstruire ce mythe, intéressons-nous à l’anatomie et à la physiologie de la glande mammaire. Comment le lait est-il « éjecté » de la glande mammaire ?
Le lait sort par plusieurs canaux galactophores (en moyenne 9, mais ce chiffre peut varier de 4 à 19). Chaque canal galactophore délimite ce que l’on appelle un lobe. Ces canaux sont l’aboutissement de ramifications venant des alvéoles mammaires. La glande mammaire ressemble un peu à des ramifications de branches de brocolis. Les alvéoles (les petites fleurs des brocolis) sont formées par les lactocytes, les cellules qui fabriquent et sécrètent le lait maternel. Une fois sécrété, le lait est stocké dans ces alvéoles mammaires. Pour vous le représenter, vous pouvez imaginer une grappe de raisins avec chaque raisin qui contient le jus (le lait) à l’intérieur.
Les lactocytes sont « entourés » de cellules myoépithéliales, des cellules musculaires… qui se contractent donc. C’est là que les choses deviennent intéressantes concernant notre fameux réflexe d’éjection. Ces cellules vont se contracter sous l’effet de l’ocytocine pour « écraser » les alvéoles afin d’y libérer le lait qu’elles contiennent vers les ramifications qui mèneront aux canaux galactophores. C’est comme si vous écrasiez un raisin juteux entre vos doigts pour avoir le jus dans votre bouche.
La succion pour augmenter l’ocytocine
Lorsque le bébé s’accroche au sein, pendant les premières dizaines de secondes, il va d’abord téter vite et fort le mamelon pour stimuler la sécrétion de la sécrétion de l’ocytocine. La stimulation de la branche inférieure du 4e nerf intercostal qui innerve le quadrant inféro-externe du mamelon va activer la sécrétion de l’ocytocine via la glande pituitaire. Celle-ci va sécréter de l’ocytocine qui se retrouvera dans le sang pour parvenir aux cellules myoépithéliales présentes autour des lactocytes.
Sous son effet, celles-ci vont se contracter. Le lait va donc être poussé vers les canaux galactophores pour arriver dans la bouche du bébé. C’est le réflexe d’éjection. Celui-ci est donc tout à fait physiologie, normal et nécessaire pour que le bébé puisse boire au sein de sa mère.
Et qu’en est-il du réflexe d’éjection fort ?
Si on tient compte de la physiologie, un réflexe d’éjection dit « fort » signifierait qu’il y aurait « trop » d’ocytocine ! À en croire la physiologie du « réflexe d’éjection fort », le lait peut-il vraiment sortir trop fort des canaux galactophores ? Les cellules myoépithéliales se contractent-elles trop fort ?
Mais d’où vient donc ce terme ? Il y a pourtant bien des bébés qui, à l’arrivée du lait, font mine de se détacher du sein « dégoûtés », sous prétexte que le lait arrive trop fort ou trop vite. La mère aurait-elle l’équivalent d’un « karcher » à la place du sein (dixit Lynda Pourchet IBCLC) ? La nature serait-elle vraiment si mal faite ?
Le réflexe d’éjection fort du lait n’existe pas !
Et si toutes mères qui ont soi-disant un réflexe d’éjection fort avaient en fait un réflexe d’éjection tout à fait normal ? Et si le problème venait d’ailleurs ? Et si nous nous intéressions aux véritables difficultés, aux troubles de la succion de ces bébés ?
Attention, je vais en choquer plus d’un… Je pense fermement que le réflexe d’éjection fort n’existe pas. Oui, vous avez bien lu, je pense et j’affirme même qu’il n’existe pas. Ce qui se cache derrière cela, ce sont des bébés qui n’arrivent pas à téter ! Ils ne parviennent pas à « gérer » un flux normal de lait. Ces bébés ont des troubles de la succion. Ils n’arrivent pas à s’accrocher, à téter et à déglutir correctement. À force d’avoir des expériences négatives au sein, ils finissent par préférer ne plus y boire. Ils ont peur de revivre ces expériences désagréables, voire traumatisantes.
Quel est le lien avec les freins restrictifs buccaux ?
Ne me faites pourtant pas dire pas ce que je n’ai pas dit. Ce n’est pas parce qu’un bébé n’arrive pas à boire avec un flux normal de lait qu’il a automatiquement un frein restrictif ! Un diagnostic différentiel est essentiel pour faire la part des choses.
Mais imaginez par exemple ceci. Vous ayez des tensions qui vous font mal ou qui empêchent un mouvement quelconque d’être réalisé correctement. Ou un frein restrictif buccal qui empêche votre langue de se mouvoir convenablement dans toutes les directions (élévation, latéralisation, péristaltisme, étalement…). Sans mouvement optimal de langue, il vous sera impossible de boire correctement et d’avaler un flux normal d’arrivée de lait. Téter avec des freins restrictifs ou des tensions de la naissance, c’est un petit peu comme courir avec un plâtre qui risquerait de vous faire trébucher. Alors… autant ne pas courir.
Ce que j’entends souvent : « un réflexe d’éjection fort pour compenser un problème de succion »
Certains bébés avec un trouble de la succion ont une succion qui pince, qui aspire très fort. Ils essayent de compenser tant bien que mal leurs difficultés à boire. Certains professionnels pensent alors qu’en réaction le réflexe d’éjection augmente.
Mais quand on réfléchit à la logique physiologique derrière ce phénomène, cela signifierait-il que ces mamans sécrètent « trop » d’ocytocine ? Comment les cellules musculaires pourraient-elles se contracter « trop fort » ? Encore une fois ce sont des bébés qui, à cause de leur trouble de la succion, ont des difficultés à boire, à avaler le lait du sein de leur mère qui a, quant à elle, un réflexe d’éjection tout à fait normal.
Conclusion
Aucune mesure objective ne permet de parler de réflexe d’éjection fort. Personne, à ma connaissance, n’a pu mesurer la vitesse d’un jet dit « trop fort ». Ce terme « d’éjection fort » est un terme purement subjectif utilisé bien à tort par les professionnels de la santé souvent dépourvus de solutions à proposer aux mères.
L’ocytocine est bien au service du réflexe d’éjection à juste titre. Ce réflexe d’éjection est 100% physiologique et nécessaire au bon fonctionnement de l’allaitement.
Il est urgent de parler encore une fois de trouble de la succion et d’évaluer la succion de ces bébés tellement en détresse. Il est également urgent de changer notre vocabulaire et de comprendre les mécanismes physiologiques qui se cachent derrière ce genre d’expression culpabilisante et sans fondement.
Allons plus loin !
Parce qu’une maman informée est une maman qui allaitera dans la douceur, j’ai créé un accompagnement en ligne de soutien à l’allaitement afin d’aider les mères à mieux comprendre la physiologie de l’allaitement mais également la succion de bébé, le mécanisme de la régulation du lait et plus encore.
Aude :
Bonjour,
Quand j’ai une montée de lait sans mon bébé, je peux voir des jets simultanés (jusqu’à 4 par mamelon) sortir spontanément de mes deux mamelons sans presser du tout, ni autre stimulation physique, même allongée sur le dos. Ça ne me semble pas cadrer avec votre hypothèse? J’ai l’impression que mon bébé tète correctement, mais comment l’évaluer plus précisément ? La prise au sein a été observé à chaque tétée lors de mon séjour en maternité sans qu’un problème ne soit relevé… Maintenant il s’étouffe, se retire pour laisser les jets se calmer et pleure énormément pendant les tétées.
Isabelle Cote :
Bonjour, merci pour votre message. Pour bien vous aider, il vous faudrait consulter un professionnel, voici la liste de ceux ayant été formés par l’Institut: https://www.auseinendouceur.com/annuaire-des-professionnels/
Juliette :
Bonjour!
J’ai un bebe d’un mois. Après une frenoctomie il y a 2 semaines, il tete mieux mais maintenant j’ai l’impression d’avoir un RÉF (pas systématiquement) mais certaines tétées sont très difficiles: jets de plus de 20cm, Bebe qui crie en s’enlevant. J’essaie d’appliquer les conseils mais c’est difficile.
Je trouve cela étrange que ça apparaisse maintenant. J’ai vu une conseillère en lactation mais pas trop de solution…
Isabelle Cote :
Merci pour votre message. Il vous faut consulter, voici la l’annuaire des professionnels ayant été formés par l’Institut: https://www.auseinendouceur.com/annuaire-des-professionnels/
Bon courage!
Chris :
Le REF est effectivement subjectif. C’est sûr que mettre en cause la succion est plus logique: en effet, si un bébé prend mieux le sein endormi malgré un contexte de REF, c’est donc bien sa succion qui, plus sereine (moins puissante) dans l’endormissement, est en cause.
Mais alors comment expliquer qu’après avoir eu une fratectomie et SURMONTÉ un contexte type “REF” et prendre bcp de poids finalement, 2 mois après, mon bébé manifeste à nouveau les mêmes difficultés que lors du contexte “REF” après un rhume? Voulez-vous dire que sa succion n’aura jamais été correcte malgrès tout?
Marie Winter :
Bonjour
Dans le contexte d’un rhume le bébé peut reprendre ses “mauvaises ” habitudes compensatoires avec une respiration buccale obligatoire (à cause du rhume) et donc de succion.
N’oublions pas qu’il faut du temps pour changer les habitudes de succion non optimal d’un bébé et qu’un rhume peut réactiver le schéma de fonctionnement antérieur.
Vérifier après le rhume que le bébé dorme bien la bouche fermée langue au palais avec une bonne respiration nasale. N’hésitez pas à faire un lavage de nez avant tétée également ! 😊
Lynda Pourchet