Le reflux gastro-œsophagien (RGO) dit bénin (vomissement non douloureux après une prise alimentaire) touche jusqu’à 60 % de la population infantile. Tandis que le RGO pathologique (douloureux, entrainant des pleurs ou des irritations chroniques) concerne entre 1 et 8 % des nourrissons.
Aujourd’hui, il est devenu presque « normal » d’avoir du reflux que ce soit pour le bébé ou l’adulte. Tout le monde connait une personne concernée. 20 % des nourrissons en bonne santé régurgitent ou vomissent après la plupart des prises alimentaires. Ce chiffre atteint 41% entre 3 et 4 mois pour ensuite diminuer et presque disparaître après l’âge d’un an.
16 millions de Français concernés
Mais le RGO disparaît-il vraiment après 1 an ? Pourquoi revient-il en force touchant jusqu’à 7% des adultes ? 16 millions de patients, soit environ un quart des Français incluant 2% de bébés, sont traités par des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Leur consommation progresse depuis 5 ans.
Je m’interroge depuis quelques années. Les bébés de Lady Sapiens avaient-ils également du reflux à la naissance ? Les bébés d’aujourd’hui naissent-ils beaucoup plus immatures qu’avant ? Pourquoi le reflux commence t-il à la naissance alors qu’un bébé déglutit déjà 0,5l de liquide amniotique par jour dans le ventre de sa mère ?
Je vous propose de prendre les choses à la racine du fonctionnement de l’estomac pour comprendre les origines du reflux. Revenons sur des études cliniques passées aux oubliettes et pourtant très intéressantes.
Anatomie et physiologie de l’estomac
L’estomac fait partie de l’appareil digestif haut. Il est situé dans la région épigastrique, la partie supérieure et médiane de l’abdomen juste en dessous du diaphragme. Le diaphragme est un muscle inspiratoire en forme de dôme situé sous les poumons. Il sépare la cavité thoracique de la cavité abdominale. Cela permet de comprendre pourquoi les efforts respiratoires donnent du reflux aux bébés comme aux adultes.
Rôle du cardia
Par ailleurs, l’estomac communique avec l’œsophage, par lequel arrive le bolus alimentaire, par l’intermédiaire de la jonction œsogastrique (ou cardia). Le cardia est en quelque sorte un sphincter empêchant les remontées acides dans l’œsophage. Sa muqueuse n’est pas du tout adaptée à l’acidité de l’estomac. Le bol alimentaire poursuit sa route dans le duodénum par l’intermédiaire du pylore qui devra s’ouvrir pour le laisser passer.
Acide chlorhydrique : l’élément majeur
Enfin, l’acide chlorhydrique sécrété dans l’estomac joue un rôle majeur dans la décomposition des aliments et surtout dans la dégradation des protéines. Mais pas seulement !
Il permet aussi le maintien des flores bénéfiques (microbiote intestinal) et assure l’assimilation de nombreux nutriments (fer, magnésium, vitamine B12, etc.). L’acide chloridrique acidifie aussi le bol alimentaire pour assurer l’efficacité des enzymes digestives.
Pour finir, l’acidité gastrique permet la libération de la bile dans l’intestin pour la digestion des graisses. Afin de supporter cet acide, la muqueuse de l’estomac est protégée par un mucus spécifique de bicarbonates qui permet de neutraliser l’acide.
L’hypochlorhydrie : l’une des causes principales du RGO
Selon le médecin Jonathan V. Wright(12), 90% des personnes souffrant de remontées acides sont en fait en hypochlorhydrie. L’estomac n’est pas assez acide.
Mais alors comment est-il possible d’avoir si mal à l’œsophage malgré la diminution d’acide ? La réponse est simple. Un reflux d’acide, même moins acide est suffisant pour irriter la muqueuse œsophagienne. Celle-ci est en effet très sensible à l’acidité.
Un estomac moins acide ne pourra plus fermer correctement son clapet supérieur (cardia) ce qui va entrainer des remontées (RGO).
La gastroparésie, conséquence de l’hypochlorhydrie
De plus, ce même estomac sera en gastroparésie. C’est-à-dire que sa vidange sera retardée. Le bol alimentaire va en effet stagner à cause du retard d’ouverture du clapet inférieur (le pylore) . C’est cette stagnation de nourriture entraîne les fameuses lourdeurs d’estomac.
Les protéines ne sont pas bien digérées ce qui entraine une altération des flores intestinales (dysbiose intestinale) et augmente l’inflammation stomacale à l’origine des coliques.
Le manque d’acide diminue la production de pepsine par l’estomac et diminue son efficacité.
Les causes de l’hypochlorhydrie
La mastication : un rôle fondamental
Une bonne sécrétion d’acide commence dans la bouche. La mastication joue un rôle majeur dans la sécrétion d’acide. Dans une société qui mange mou et qui par conséquent ne mastique plus, il y a est nécessaire de s’interroger. Pour les bébés, nous pourrions peut-être faire le parallèle avec un sein que le bébé doit téter et un biberon qui coule tout seul ? Gare à vous si vous avez des dysfonctions oro-maxillo-faciales, en gros si vous n’avez pas une bonne succion, mastication et déglutition, cela affectera votre acidité gastrique.
Système vagal : respiration et digestion
Ensuite, le système vagal entre en jeu. En plus de jouer un rôle important dans la respiration, le système vagal orchestre la sécrétion d’acide chlorhydrique et la digestion en générale. En cas de stress chronique, de tensions, de mauvaises postures, de dysfonctions et restrictions oro-maxillo-faciales, en bref de dominance du système orthosympathique, la production d’acide diminuera (contrairement aux idées reçues). Là, je pense à tous ces bébés qui ont un système vagal dérégulé à cause d’une grossesse stressante, d’une naissance médicalisée, de troubles oro-myofonctionnels et de difficultés d’allaitement. Des situations idéales pour déréguler le système vagal !
Le sucre, l’alimentation industrielle, le tabac, un manque de zinc et de thiamine, l’avancée en âge ET les inhibiteurs des pompes à protons IPP sont aussi des facteurs aggravant l’hypochlorhydrie.
Le reflux gastro-oesophagien (RGO), Respiration et freins restrictifs
Le RGO est aussi une énorme affaire d’efforts respiratoires et de freins linguaux restrictifs.
Rappelez-vous que le point de départ des apnées du sommeil est la perte de la respiration nasale nocturne au profit d’une respiration buccale. C’est précisément cette respiration buccale souvent bruyante qui demande un effort respiratoire plus important.
De plus, tous les bébés, les enfants et les adultes qui respirent en faisant du bruit, ronflent, ou souffrent d’apnées du sommeil, sont en effort respiratoire. Fait important : l’utilisation de la CYPAP dans les apnées du sommeil améliore grandement le reflux.
Cette respiration dysfonctionnelle engendre une pression négative dans le thorax (une dépression intrathoracique) et qui comprime l’estomac qui se met à “fuiter” vers le haut. Enfin, ces efforts respiratoires envoient un signal de stress chronique impactant le nerf vague et le système respiratoire (signes d’hyperventilation).
Quelques études
Les freins linguaux restrictifs sont très certainement en grande partie responsable du reflux. Les travaux de Y. Chien et C. Guilleminault(1) nous apprennent qu’une personne sur deux présentant un syndrome d’apnées du sommeil est porteur d’une frein. Il est urgent de prendre cette information en considération.
Chien et son équipe ont examiné 229 personnes adressées pour un syndrome obstructif d’apnée du sommeil. La mobilité de la langue a été mesurée par le TRMR (Zaghi). Près de la moitié d’entre eux (105 sur 229) avaient un frein lingual restrictif. Ces mêmes personnes présentaient un développement anormal de la cavité buccale avec un impact clair sur la croissance maxillaire. Mais aussi un frein lingual court et un phénotype de l’apnée du sommeil pédiatrique ! Un diagnostic et un traitement précoces éviteraient l’apparition d’un syndrome obstructifsdes apnées du sommeil et de toutes les comorbidités désastreuses et couteuses pour la société. Or nous savons qu’un milliard de personnes souffrent d’apnées du sommeil. Un peu moins de 500 000 000 personnes seraient donc concernés par les freins linguaux restrictifs et les efforts respiratoires.
L’exemple de l’hernie hiatale
C’est aussi exactement cette pression intrathoracique provoquée par l’effort respiratoire « appuyant sur l’estomac » qui donne lieu à des hernies hiatales dites « congénitales » ou acquises. Vous le savez déjà. S’il y a un frein lingual restrictif, il est présent depuis le premier trimestre de grossesse. On peut émettre facilement l’hypothèse que le bébé à naitre fait déjà des efforts respiratoires dans le ventre de sa maman, provoquant de cette manière une hernie hiatale dite congénitale, pas vraiment congénitale au final. Il serait vraiment intéressant d’évaluer la fonction linguale et oro-maxillo-faciale de ces bébés.
Amélioration du reflux gastro oesophagien après une frénectomie ?
Plusieurs études cliniques ont démontré une amélioration du RGO chez les bébés après une frénectomie. Par exemple, Scott Siegel et son équipe (9) ont examiné, diagnostiqué et traité par frénectomie 1000 bébés ayant des symptômes de reflux avec un frein lingual restrictif. Une semaine après l’intervention, 526 (52,6 %) présentaient une amélioration des reflux dans la première semaine après la procédure au point de réduire ou de cesser de prendre les médicaments H2/IPP. Plus d’une quart d’entre eux, (28,3 %) n’ont présenté aucun changement dans les symptômes de reflux, ce qui suggère une autre cause et surtout un besoin supplémentaire en thérapie myofonctionnelle et de régulation du système vagal. Enfin, 191 (19,1 %) ont montré une amélioration de l’irritabilité après la tétée et moins de reflux. Cependant ils n’ont pas pu être sevrés complètement des médicaments.
Ces résultats sont confirmés par d’autres études (9, 10, 11, 12).
Evaluation fonctionnelle de la langue
Une autre étude (10) confirme la nécessité d’une évaluation fonctionnelle des mouvements de la langue et des lèvres.
340 nourrissons de 1 semaine à 3 mois ont vu des spécialistes pour l’évaluation et la libération des lèvres maxillaires qui les empêchaient d’obtenir une bonne étanchéité et de prendre le sein de leur mère ou le biberon. L’enquête réalisée auprès des parents a indiqué que 208 (61 %) des nourrissons présentaient des signes de reflux (GER). C’est à dire : vomissements, régurgitations, incapacité à dormir couché sur le dos, agitation, pleurs après l’allaitement et congestion le matin. Sur les 208 nourrissons, 40 % étaient ou avaient été traités pour un RGO avec des médicaments pharmacologiques (inhibiteurs de la pompe à protons ou anti-H2) sans aucun résultat.
À la fin de la procédure et lors d’une discussion de suivi postopératoire de 48 heures avec les parents, 93 % (194 nourrissons) des nourrissons ont montré des améliorations immédiates des difficultés de l’allaitement sans signes ni symptômes de RGO. L’enquête renvoyée à la fin des deux semaines suivant la chirurgie a donné des résultats semblables. La frénectomie peut donc éliminer la nécessité d’un traitement pharmacologique.
Conclusion
La langue EST le médicament principal contre le reflux.
Votre langue, votre respiration, la gestion du stress et votre alimentation sont les médicaments de guérison du RGO pour les petits comme pour les plus grands. Il faut de la médecine fonctionnelle pour tout le monde ! Il est urgent de reconsidérer la compréhension du reflux chez les petits comme chez les grands à la lumière des études cliniques disponibles.
Si vous souhaitez aller plus loin, je vous invite à participer à la conférence du 8 mars 2023 sur le reflux.
Références
*https://www.thelancet.com/journals/lanres/article/PIIS2213-2600(19)30198-5/fulltext ?
(1) Y Chien, C Guilleminault, Adult short lingual frenulum and obstructive sleep apnea lingual frenulum and obstructive sleep apnea, Sleep Volume 40, Issue suppl 1, 28 April 2017, pages A164-A165
(2) Ghaheri, Bobak A., Melissa Cole, and Jess C. Mace. “Revision lingual frenotomy improves patient-reported breastfeeding outcomes: a prospective cohort study.” Journal of Human Lactation 34.3 (2018): 566-574.
(3) Hand, P., et al. “Short lingual frenum in infants, children and adolescents. Part 1: Breastfeeding and gastroesophageal reflux disease improvement after tethered oral tissues release.” European Journal of Paediatric Dentistry 21.4 (2020): 309-317.
(4) Kotlow, Lawrence. “Infant reflux and aerophagia associated with the maxillary lip-tie and ankyloglossia (tongue-tie).” Clinical Lactation 2.4 (2011): 25-29.
(5) Mandal, Upanandan, et al. “Management of experimental hypochlorhydria with iron deficiency by the composite extract of Fumaria vaillantii L. and Benincasa hispida T. in rat.” Journal of natural science, biology, and medicine 5.2 (2014): 397.
(6) Mandal, Upanandan, et al. “Effect of different solvent extracts of Benincasa hispida T. on experimental hypochlorhydria in rat.” Journal of Advanced Pharmaceutical Technology & Research 3.1 (2012): 41.
(7) Martin, A. James, et al. “Natural history and familial relationships of infant spilling to 9 years of age.” Pediatrics 109.6 (2002): 1061-1067.
(8) Nelson, Suzanne P., et al. “Prevalence of symptoms of gastroesophageal reflux during infancy: a pediatric practice-based survey.” Archives of pediatrics & adolescent medicine 151.6 (1997): 569-572.
(9) Siegel, Scott A. “Aerophagia induced reflux in breastfeeding infants with ankyloglossia and shortened maxillary labial frenula (tongue and lip tie).” International Journal of Clinical Pediatrics 5.1 (2016): 6-8.
(10) Salvatore, S., B. Hauser, and Y. Vandenplas. “The natural course of gastro‐oesophageal reflux.” Acta Paediatrica 93.8 (2004): 1063-1069.
(11) Slagter, Kirsten W., et al. “Effect of frenotomy on breastfeeding and reflux: results from the BRIEF prospective longitudinal cohort study.” Clinical oral investigations 25.6 (2021): 3431-3439.
(12) Wright, Jonathan V., and Lane Lenard. Why stomach acid is good for you: natural relief from heartburn, indigestion, reflux and GERD. Rowman & Littlefield, 2001.
Caroline Ferriol :
Merci pour cet article avec lequel je suis complètement en lien depuis des années et et qui est en lien avec nos accompagnements et ma conférence gratuite sur le RGO.
Il manque 2 facteurs pour moi à cela : les équilibres de sommeil et d’alimentation, et avec le tout : frein, sommeil et alimentation, nous arrivons à des chiffres dérisoires de bébés ayant besoin de rester sous IPP après nouvelle visite chez le pédiatre.
Nous conseillons au quotidien votre annuaire de professionnels.
Je serais heureuse d’assister à votre conférence.
Caroline Ferriol, Fée Dodo
Isabelle Cote :
Merci pour votre message! Comme Caroline en parlera à la conférence, c’est en traitant la langue, qui traite du coup l’effort respiratoire, qui traite le sommeil et en traitant l’alimentation qu’en effet, il reste un chiffre complètement dérisoir de traitement sous IPP
Christelle Gapihan :
Le bébé déglutit le liquide amniotique mais ne respire pas intero ???
Isabelle Cote :
Exactement 🙂
Nathalie Fossat :
Merci pour cet article car lorsque je pose la questions aux parents concernés que j’accompagne : vous a t’on dit pourquoi il avait du RGO ? la réponse est la majorité du temps NON. On s’arrête au constat et on donne des IPP ou gaviscon avec plus ou moins de résultats.
Le fait que les freins soient restrictifs dès le 1er trimestre pose la question pour moi de la nutrition de la future mère. On sait que le déficit en B9 acide folique est associé à l’apparition de malformations du tube neural et certaines malformations congénitales du système nerveux. Étant donné la ligne médiane en lien avec le tube neural, est il possible que ces freins soient liés à une carence en B9 ou autre ?
Isabelle Cote :
Vous avez totalement raison quant à la prévention par la future mère. Nous abordons tout cela dans cette formation: https://www.auseinendouceur.com/programmes/prevention-dysfonctions-restrictions/
Merci et à bientôt!
Mélodie Méténier :
Bonjour, merci pour cet article très intéressant. Du coup pour vérifier notamment la langue, c’est un spécialiste de la médecine fonctionnelle qu’il faut consulter ? Mon bébé de 9 mois souffre de reflux depuis sa naissance, IPP inefficace, allergies alimentaires avérées mais évictions non suffisantes pour le soulager pleinement. J’aimerais creuser du côté respiration/langue.
Merci !
Isabelle Cote :
Bonjour et merci pour votre message. Vous pouvez trouver un professionnel formé par notre Institut ici: https://www.auseinendouceur.com/annuaire-des-professionnels/. Ils pourront vous aiguiller et vous diriger.
Sophie :
Merci pour l’article. Je suis plutôt convaincue :
Les médecins n’ont pas pris au sérieux les pleurs de mon enfant, c’était juste du stress, pi je ne savais pas le nourrir, quelle mauvaise mère ! Il nous a fallu 9 mois pour obtenir du Gaviscon, ce qui a grandement amélioré l’état général de notre enfant, et vers 1 an quand (handicap moteur) il a enfin eu la force de se tourner sur le ventre et de redresser le haut de son corps les reflux ont diminué et il a arrêté de pleurer sans cesse même si le sommeil est resté difficile jusqu’à ses 4 ans ce qui correspond au début du sevrage de la gastrostomie l’alimentation orale ayant pris le relais en quantité quasiment suffisante. Il y a encore du travail OMF mais on avance !
Et une question : Quand il y a manque d’acide chlorhydrique (notamment parce que je tourne à l’omeprazole sur prescription médicale depuis plusieurs mois), comment peut-on le corriger ? Car mon médecin m’a aussi conseillé d’éviter tous les aliments acides (comme les tomates, …) Et qu’avec les rgo mes dents sont pourries et donc je ne mange quasiment plus de trucs acides en bouche comme les agrumes, les pommes, les cornichons, les vinaigrettes, l’oseille, …. Car c’est trop douloureux…
Merci
Caroline de Ville :
Bonjour Sophie, je te recommande de prendre rdv avec une nutritionniste en médecine fonctionnelle pour rééquilibrer tout cela. Au delà de cela, la meilleure action à faire c’est de !!! mastiquer !! pour stimuler la sécrétion d’acide. Les dents pourries… il faut corriger ta respiration buccale en thérapie myofonctionnelle. De tout coeur Caroline